jeudi 18 septembre 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 51

Episode 51: Riquiqui et graffitis

Avant même de monter dans les étages, Michel et moi laissons les filles partir et trouver notre chambre (apparemment il suffit de monter jusqu’à ce qu’on ne puisse plus). Le propriétaire nous a fait une recommandation que je ne sais pas comment prendre. Il semblerait voyez-vous, que pour que la voiture soit en sécurité, il vaut mieux la garer sur le trottoir juste devant chez lui, parce qu’il a des tas de caméra de surveillance, et que grâce à ces dernières il n’a plus eu d’ennuis depuis au moins trois mois. Hum. J’ai envie de dire, trois mois c’est assez peu finalement non ? Mais enfin pour lui le résultat a l’air tout à fait exceptionnel dans la région. Donc on va sortir de mon magnifique créneau (si la bagnole est encore là) pour la garer devant le trottoir juste en face. Nous revoici, cinq minutes plus tard, au pied des escaliers. Vous aurez compris que la maison ne fait pas une taille démesurée, et les marches ne font pas exception. Les murs lambrissés en blanc font contraste à la moquette bleue qui recouvre les escaliers. C’est un peu raide, alors des demis (et peut-être même des tiers de) paliers nous permettent de faire un pas de côté et de tourner nos sacs de voyage : c’est suffisamment étroit pour qu’on ne puisse pas tenir de front avec nos affaires.

La montée parait une éternité, surtout après une belle journée à marcher à droite et à gauche, mais nous sommes finalement en face de notre chambre, la seule du dernier palier. Pour économiser, et avoir une belle ambiance de dernier jour, nous avions décidé de prendre une seule chambre à quatre. Nous n’allons pas être déçus : nous avons un tout petit peu moins de place dans la pièce que lorsque nous allions dans nos tentes en camping ! L’espace est occupé par les deux lits doubles, séparés par une petite table de nuit. Une commode nous empêche de garder les sacs ouverts si l’on veut accéder à la salle de bain… Pour cette nuit, c’est soirée Tétris ! Mais enfin, nous qui avons été un peu traumatisés par l’expérience Londonderry, nous sommes rassurés : c’est peut-être minuscule, mais c’est bien tenu, très propre. On s’y sent tout de suite bien, à choisir nos places pour la nuit. Réfléchir à son emplacement est stratégique, car il est question, après une farce de ma part (impossible de me souvenir de quoi, mais ce n’était sans doute pas d’un très bon goût), de venir me « péter dans la bouche » au cours de la nuit. J’ai donc plutôt intérêt à faire attention.

Une fois prêts pour la visite de la ville (on ne peut pas rester ici très longtemps sans le risque de se marcher dessus), nous descendons étudier le plan. Le propriétaire, qui réussit le tour de force de se lever de son profond fauteuil (courageux meuble), vient nous faire quelques explications. Il conseille aussi le Crown (décidément !), mais surtout il nous recommande vivement, dès la nuit tombée, de ne plus nous déplacer qu’en taxis. « Pas la peine de chercher des ennuis », dixit le sympathique obèse. Bon je crois qu’on a compris que l’aimable voisinage n’est pas du genre à nous inviter pour le thé de seize heures. Nous promettons de faire attention, embarquons aussi un plan touristique de la ville, et puis bravement, nous sortons affronter l’inconnu et ses dangers. Franchement, il fait beau dans ces dernières heures de jour, et les gens n’ont pas l’air si patibulaires que ça. C’est sûr, on n’est pas dans la city, ni au défilé d’Abercrombie et Fitch, mais pour peu qu’on ait rien contre les habits de sport usés, les gens n’ont rien de si spécial. Quelques-uns mériteraient un tour chez le coiffeur ou le barbier, voire chez le dentiste, mais ils n’ont rien de crasseux ou méchants. A cette heure même, on croise pas mal de mamans avec leurs poussettes : heureusement pas l’image de violence que l’on commençait à imaginer.

Nous marchons un bon quart d’heure avant d’arriver aux « Murals ». Initialement, ce devait être des graffitis, mais les artistes sont allés bien plus loin que le format original. On trouve ainsi, sur des façades complètes, de véritables fresques peintes aux couleurs vives et aux détails saisissants. Et puis, elles ne sont pas abstraites du tout : non seulement ce sont souvent des visages ou des personnages qui sont visibles sur ces grandes peintures, mais en plus il s’agit de messages politiques portés haut et forts. Oui, on n’oublie pas ici qu’on est au berceau du Sinn Fein, le mouvement (catholique) militant pour que l’Irlande du Nord sorte du Royaume Uni. Passé d’un groupe de résistants dans les années 20, à un groupe d’activistes, puis terroristes armés de temps en temps, le groupe a beaucoup fait parler de lui. Ce sont des pacifistes du Sinn Fein qui sont tombés sous les balles des parachutistes anglais le jour du « Bloody Sunday »… Et d’autres beaucoup moins calmes qui ont organisé l’embuscade des forces de police, il a deux jours. C’est dans cette ambiance, cette toile de fond, que l’on doit découvrir les « Murals ». Portraits géants à l’effigie de prisonniers des forces britanniques, peintures poignantes montrant la veuve et l’orphelin piétinés par les militaires… Les peintures se succèdent sur un long mur bétonné d’une usine locale, le long d’une avenue qui fait plusieurs kilomètres de long et se prolonge vers le centre-ville.

La majorité de ces « tableaux » occupant des pans de murs les uns à côté des autres sont très pacifistes, dénonçant les guerres, les expropriations et les régimes totalitaires. C’est surtout un grand manifeste pour la paix et la liberté, contre toutes les formes d’oppression. Certains « Murals » anciens, contenant une simple citation sur fond de visages apeurés, font un effet profondément émouvant. Cela s’ajoutant à la même ambiance un peu tendue de Derry que l’on retrouve dans ce quartier, on ressent comme un petit malaise. Que ne parviennent pas à dissiper les deux Blindés (oh pardon, des voitures de police) que l’on voit patrouiller juste après. Quelques photographies plus tard, nous poursuivons impressionnés notre visite vers l’hyper-centre. Mais bon, nous qui avions déjà un peu sous-estimé les distances jusqu’aux « Murals » nous sommes vraiment dans les choux pour le centre-ville. Il faudra bien une vingtaine de minutes à marcher dans cette avenue interminable (qui n’a rien d’autre que les peintures à offrir) avant d’atteindre le cœur de la ville.

Marie est tout de suite catégorique, voire un peu rasante lorsqu’elle annonce que Belfast, c’est moche. Non. Pas du tout, en fait. Que ce soit différent du reste de l’Irlande, oui. Un peu froid peut-être, dans ces grandes avenues à l’américaine (même si vu la chronologie, ce sont les avenues américaines qui sont irlandaises), qu’il est impossible de traverser. Après une semaine et demie de maisons en pierre, de front de mer et de briques en tourbe, nous ne sommes pas prêts pour une city telle que Belfast. C’est, tout comme à Dublin, un assemblage assez hétéroclite de modernisme et d’ancien. Sauf qu’ici, le premier boom de la ville ne date pas du moyen-âge, mais bien de la révolution industrielle. On a donc de vieux buildings, des façades art-déco à la Gotham, des tours de verre façon San-Francisco, et même de futuristes façades végétalisées pour certains des bureaux les plus récents. Oui, des bureaux. Ou des hôtels. Ce n’est clairement pas un grand quartier d’habitats, ces derniers sont en périphérie. Pas facile dans ce climat de trouver un petit restaurant traditionnel. Pour la simple et bonne raison que les locaux vont manger dans leurs quartiers. On trouve ici de la grande cuisine à profusion, plusieurs chaines réputées (on va tout de même se tâter sur le Hard-Rock Café), et des spécialités étrangères (Italien, Indien, Libanais, on nous tend les bras).

Nous passons devant la mairie et le parc, juste à côté, véritable ilot de nature dont dépassent les colonnades d’un monumental ouvrage. Les rues sont parsemées de pépites, pour tant que l’on apprécie l’architecture des grands centres urbains… Julie et Marie n’y sont pas sensibles, et je sens Michel fatigué, peut-être un peu renfrogné (j’imagine qu’on a tous nos moment un peu « out »). Nous nous mettons donc en quête du Crown Bar and Restaurant. Il est même dans le plan touristique de la ville… Mais même si, à priori, c’est un temple à touristes, nous ne voyons pas tant d’alternatives. On veut au moins le voir, et se faire une idée avant de tenter autre chose. Il faudrait alors trouver un plan B assez rapide, parce que nous sommes à court d’options. Il y a très peu de pubs, et encore moins de gargotes qui nous attirent. Sauf que le Crowns, quand on décide de l’atteindre par une artère non passante (un raccourci, presque), eh bien il devient difficile à trouver. Nous croirons même que le Crown est fermé, puisque nous sommes à l’endroit approximatif (ces idiots ont fait un gros point remarquable sur la carte) et qu’il n’y a rien, sur cette petite place. Une grande pancarte indique le bar, mais nous ne comprendrons pas tout de suite que nous sommes à l’arrière.

Et d’un coup, nous y voilà, le Crown ! Vu l’heure avancée, nous ne passons pas par la case Pub, mais montons directement au premier étage où se tient le restaurant. On ne s’y est pas trompés, il y a du monde, et je ne vous parle même pas de la salle… Mais bien de la file d’attente. Ho ho ho, mais nous sommes rodés à présent, nous allons attendre ! Une réceptionniste très attentionnée vient nous inscrire pour une réservation dans trois quart d’heures. Un couple sera encore pris après nous, et pour les suivants… Bonne nuit. Nous prenons rapidement place sur le petit divan rembourré qui se tient à l’entrée, pour observer les alentours. C’est une déco à l’ancienne, avec un gigantesque vaisselier faisant face à l’entrée de la salle. Rempli jusqu’à la gueule de flasques et carafes d’un autre âge (et toutes estampillées Bushmills, t’as vu ?), il assure à lui seul l’authenticité du lieu. Presque autant que les petits boxes qui séparent les tables, lambrissés, sur lesquels se tiennent de petites lampes art déco tamisées. La ville est à l’honneur sur les photographies d’époque, et surtout pour sa production la plus connue, c’est-à-dire le Titanic (et ses quelques petits frères et cousins qui n’ont pas eu la chance de croiser un iceberg).

La réceptionniste, nous voyant dans une pure position d’attente, nous informe que comme nous avons notre réservation et qu’elle nous reconnaîtra, nous pouvons toujours faire un tour au pub, juste en dessous. Mais en voilà une idée qu’elle est bonne ! Immédiatement, nous prenons le chemin du bar. Et là, j’aime autant vous dire qu’on est rentrés dans un lieu unique, intemporel, un véritable OVNI. 

C’est tout simple, on n’a jamais vu un pub pareil.

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