Lorsque nous ouvrons les yeux
ce matin, nous sommes en pleine forme. Non, vraiment. En plus d’être reposés
(nous ne sommes pas rentrés trop tard hier), pas de gueule de bois à l’horizon,
pas de maux de ventre par excès de gras. Les courbatures sont discrètes, et on se
lève avec la délicieuse envie d’aller se mettre à table pour y renifler du
bacon. Bien sûr, il pleut car le tableau ne pouvait être parfait, mais il faut
faire confiance à l’Irlande du Nord… On s’en fiche que la pluie tombe
maintenant, il fera sans doute beau d’ici une petite heure pour notre départ.
La bonne humeur rend optimiste, et elle a aussi pris nos amis que nous
retrouvons à la table du salon. Nous découvrons la femme du propriétaire du
B&B, qui s’affaire en cuisine avec lui pour nous préparer un splendide
petit déjeuner. Bavards (ce type prend le temps de discuter avec nous, c’est
vraiment cool), nous parlons du diner d’hier soir, et de notre programme
d’aujourd’hui.
Bon, voilà je vous arrête tout
de suite avant que vous ne le pensiez, nous n’avons pas mangé un full Irish
breakfast ce matin. Non, non, nous avons dévoré LE meilleur Full Irish
Breakfast. De tout le voyage, l’Irlande et du monde entier si cela ne tenait
qu’à moi. Le bacon est parfait, à la fois croquant et doré et savoureux, tandis
que les œufs brouillés sont délicieusement pris… Oh, après le restaurant hier
soir, voici la surprise totale du petit déjeuner. Les boudins blancs et noir à
l’avoine et au blé sont bouillants, la tomate juste prise sur le dessus.
Ma-gni-fique. Nous nous précipitons pour leur demander comment ils font pour se
démarquer, parce que nous avions considéré jusqu’ici les autres matinées pour
de très bonnes références… Et dans un sens, la réponse ne me surprendra pas.
Les œufs sont du producteur du coin, comme le boudin et le bacon du patelin d’à
côté. Quant à la cuisson, tout est pris au beurre bio, avant d’être cuit au
four. Au four. Oui, pas besoin de l’avalanche de gras en fait ? On nous
aurait menti ? En tout cas, nos artères nous en remercient encore
aujourd’hui.
Nous en venons à leur demander
aussi leurs idées de visites pour Belfast. En effet nous n’y arriverons pas
avant le début de soirée, et n’aurons peut-être pas le temps de tourner dans le
centre-ville des heures durant à la recherche d’une bonne adresse. Londonderry
est encore dans tous les esprits, et puis… Ma foi il faut bien avouer que
depuis cet incident avec les manifestations, nous sommes aussi un peu prudents
sur le choix des lieux où nous voulons débarquer : pas question de se
retrouver par hasard au milieu d’une émeute. Sans surprise ils nous conseillent
les « murals » ces graffitis célèbres dans le monde entier, très
orientés politique, qui font le succès de Belfast. Mais en taxi, d’après eux,
pas à pied : ça craint un peu. Euh… D’accord. Et puis pour le restaurant,
ils ne jurent que par le Crown, ils y sont descendus une fois et c’est leur
coup de cœur ultime. Bon, comme dans le routard ils indiquent que c’est un peu
vieillot et pédant, on ne sait pas si finalement nous irons y faire un tour. La
fin du repas arrive vite, nous sommes à court de bons mots à échanger avec nos
hôtes, sinon pour leur signaler que si ça ne tenait qu’à nous, on resterait
bien une semaine complète en pension ici.
Avec le coup de main des
derniers jours, les bagages sont faits en moins de dix minutes, et la voiture
est chargée en un rien de temps… Celui qu’il faut pour payer, en fait. Il
faudra ensuite que je fasse (trois fois) une marche arrière pour sortir de la
cour, incapable que je suis de maintenir cette lourdasse de voiture droite
durant plus de quatre mètres. Le tout pour conduire… Oh facilement trente
secondes ! Nous allons en effet nous garer juste devant l’entrée de
l’usine Bushmills. Ca y est, on y est, Bushmills ! Une délivrance. Dans le
hall d’accueil, qui est gigantesque, un comptoir nous attend à droite pour les
tickets d’entrée, tandis que le reste fait office d’exposition permanente.
C’est fascinant, et je m’avance déjà pour commencer ma revue de détail, quand
je remarque, deux rangs devant Julie dans la file d’attente pour la première
visite, les deux allemands que nous avons rencontrés la veille lors de la
visite du Dunluce Castle. Nous n’avions pas échangé alors plus de quelques
mots, dont deux ou trois en allemand (mais pas Durschnittsgeschwindichkeit, ce
qui est bien dommage). Pourtant, ils me font signe d’approcher. Et là, l’homme
me tend discrètement deux petits tickets bleus… Il m’explique en deux mots
qu’ils les ont eus dans leur B&B, et que grâce à cela, nous pourrons
également avoir une petite surprise en fin de visite. Whaou. Euh, merci !
En fait, si ça se trouve, en Irlande tout le monde est sympa ! Je reste
sur ce geste altruiste, on ne vous oubliera pas dans le récit, vous deux !
Et par chance, les deux
hôtesses d’accueil à la caisse ne se rendront compte de rien… Nous aurons bien
doit à des tickets « + bonus ». Du coup, durant toute la visite, je
ne pourrais m’empêcher de regarder les deux allemands sans l’envie de leur
faire de gros clins d’œil appuyés (mais je m’en passerai quand même, qu’on reste
chacun de notre côté sur un bon souvenir…). Le temps d’attendre l’arrivée de
notre guide, nous pouvons faire le tour de cette grande pièce, divisée en deux
par un véritable mur de tonneaux de whisky. Le nombre impressionne, mais il met
aussi en valeur les différentes vitrines qui sont sur les côtés, entre les
imprimés sur bois qui ont clairement plusieurs décennies, et quelques
bouteilles dont le prix non affiché dépasse celui du verre blindé derrière
lesquelles elles sont exposées, comme les bijoux qu’elles représentent. Il y a
encore quelques instruments agricoles, pour faire « dans le vieux »
et rappeler à tout bout de champ que depuis 1608, ici, ça distille (et à côté,
ça consomme). On y suit aussi un petit film qui, comme dans le musée Guinness,
tient autant de la publicité intelligente que du documentaire, le narrateur
n’étant personne d’autre que le descendant du propriétaire initial (bon ce
n’est pas un Mc Guinness non plus).
Quelques minutes plus tard, un
guide vient nous chercher pour nous faire la visite. Malheureusement, deux
points vont un peu obscurcir le chemin : déjà, il n’y a pas droit aux
photos, puisque ce n’est pas un musée que nous traversons, mais bien les
bâtiments d’usine, qui comporte comme tout lieu de production ses secrets et ses
règles. Ensuite, le guide est un peu plus formaté et il a beaucoup moins
d’humour que lors de notre passage hier au Dunluce Castle. En dehors de ces
deux points, la visite n’est pas très longue mais vraiment enrichissante. Je
m’attendais beaucoup plus à un musée qu’à ce lieu vibrant d’activité, cette
petite fourmilière d’alcooliques au milieu de la campagne. Car ils ne mentent
pas lorsqu’ils annoncent être en période d’activité. Les cuves de fermentation
font la taille d’une caravane, et le malt à 55°C est un arome bien spécial… Qui
rend même les jambes un peu molles, puisque l’on passe d’un bâtiment à l’autre
sans véritable transition en température. Après les matières premières et les
ferments, nous passons dans la salle la plus ancienne, et je trouve, la plus
intéressante : le hall de distillation.
On est au cœur du
Bushmills ! Littéralement : dans les tuyaux de pression qui nous
entourent, les vapeurs d’alcool sous pression se condensent goute à goute, pour
former le nectar. C’est un incroyable nœud gordien de tuyaux de métal, de puits
de vapeur, de valves de toutes tailles et de toutes formes, au milieu desquels
neuf gigantesques alambics en cuivre (équipés de hublots blindés) trônent et
chauffent. On nous rappellera plusieurs fois que la spécificité du Whiskey
Irlandais sur son collègue d’Ecosse, c’est qu’il est distillé trois fois au
lieu de deux. Il va donc aussi devoir reposer plus longtemps, puisque son taux
d’alcool initial est plus élevé. Cela influe aussi sur le rendement… A comparer
avec les gigantesques pailles en inox et en cuivre, il y a un simple robinet en
sortie de chaine, qui crache son savoureux liquide à moins de 10 litres/minute.
Un seul employé est au centre de tout cet énorme dispositif, au milieu du
« cube » de la distillation. Il a pour charge, à intervalle régulier,
de sentir, goûter, analyser le whiskey brut. Enoncé comme ça, c’est le plus
beau métier du monde… A ceci près qu’ici, on est dans une étuve, que l’odeur alterne
entre l’alcool et le métal chaud, et que finalement le bon gout du Bushmills
comme on l’apprendra cinq minutes plus tard, vient très largement du tonneau
dans lequel il va passer sa vie.
C’est la prochaine étape.
Véritable cathédrale, le premier site de stockage n’est qu’intermédiaire. On
nous explique que les trois quart des tonneaux que nous voyons ici sont vides…
Les productions sont tout simplement cachées. Oui, cachées. Répartie en Irlande
du Nord dans plusieurs caves aux locations secrètes, des hectolitres de whisky
de qualité supérieure vieillissent en fut. Au minimum huit ans (c’est le
« Black Bush » que l’on retrouve un peu partout). Il y a ensuite le
classique « Old Bushmills » qui a 10 ans, le Special Distillery
Reserve à 12 ans… Puis les hauts de gamme, généralement livrés en coffrets dont
le 16, 18 et 25 ans d’âge (pour ceux qui, comme Barney, aiment que leur whisky
soit assez vieux pour commander son propre whisky). Et les arômes ? Mais
c’est le tonneau, ma bonne dame ! Des tonneaux… d’occase. Du Madère, du
Calvados, de la cerise, du Madras, du Cognac… Que des fûts aux goûts prononcés.
Et dans les derniers mois de sa vie avant la bouteille, le Bushmills est changé
de tonneau en fonction de son âge, de sa qualité, de l’arôme recherché. On
passe du chêne au hêtre, du « cherry oak » au tonneau de calva. Les
connaisseurs peuvent donc vraiment parler d’un « assemblage unique des
saveurs ».
D’autre part, il n’est pas
difficile de comprendre pourquoi plus c’est vieux, plus c’est cher et fort en
gout : on nous montre la coupe de tonneaux à différents stades de
maturation : le bois absorbe, il est microporeux, les niveaux finissent
par baisser avec les années. Un tonneau de Black Bush est déjà à moitié vide
avant ses sept ans (et il ne sait pas encore réciter l’alphabet), alors je vous
laisse imaginer la déperdition au bout de 16 ans… Sortis de cette énorme
cathédrale dans laquelle les futs s’empilent jusqu’à la voute, nous sommes un
peu pétés (les vapeurs, ah les amis, ça finit par attaquer sévèrement). Le
passage au conditionnement sera malheureusement court, parce que les
bouteilles, alignées par centaines sur la chaîne, sont à l’arrêt. Les
étiqueteuses ne tournent pas, seuls quelques ouvriers s’affairent à l’autre
bout de la salle pour terminer le chargement de quelques cartons sur la
remorque d’un livreur. Mais j’avouerai que nous ne sommes plus aussi concentrés
sur la visite, parce que dans le prochain bâtiment, qui est aussi le plus
emblématique de l’usine (il est juste présent sur toutes les étiquettes de la
boisson), il y a la dégustation finale, un verre de la bouteille que l’on
souhaite (hors premium bien entendu, il n’est que dix heures du matin).
Bushmills !
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