Avant de partir à l’aventure
sur ces petits chemins, nous trouvons d’abord un étrange salon de thé perdu à
côté du parking. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser en voyant les
quatre voitures qui s’y battent en duel, le lieu réussit le tour de force
d’être plein aux trois quarts, de petits vieux surgis d’on ne sait ou (peut
être poussent-ils naturellement dans le coin). Il présente aussi un
« musée du parc », appellation véritablement flatteuse pour ce qui
n’est rien de plus qu’une pièce de la taille d’un salon recouverte d’affiches
présentant la faune locale. Heureusement que ce n’était pas payant, même si
tout est fait pour que l’on se sépare avant la sortie d’une généreuse donation
(y compris le regard de celle qui doit être la conservatrice, elle-même n’étant
pas très bien conservée). Je bougonne dehors (saloperie de parking), puis à
l’intérieur (exposition de merde) et enfin, lorsqu’il s’agit finalement de
choisir quel chemin nous allons pratiquer (enfoirés de baliseurs). Je pense que
mes compagnons ont compris qu’il valait mieux me laisser marcher seul, à tout
le moins jusqu’à ce que l’on rencontre les cascades tant attendues.
Une fois dans notre élément,
je me dégrise un peu. La nature, belle et brute, possède toujours ce pouvoir de
laissée à l’orée des forêts les petits désagréments et les ronchonneries
chroniques. Le chemin que nous suivons descend vers le fond de la vallée avec
entrain, même si nous essayons de ne pas trop penser à l’inévitable remontée
(la voiture est en haut, elle fait du gâteau). Curieusement, le ciel s’est
dégagé et nous profitons d’agréables rayons de soleil avant de plonger dans
l’encaissement naturel que forme la vallée. Sur les dernières centaines de
mètres, cette petite randonnée prend un aspect plus frustrant qu’elle n’y
paraissait : nous entendons distinctement les bouillonnements de l’eau qui
dévale les parois du torrent à notre droite, sans pour autant apercevoir quoi
que ce soit à travers les frondaisons. Et lorsqu’enfin nous pensons y être, que
l’on aperçoit des masses d’eau turbulentes se fracasser sur les rochers, on
apprend par un panneau que l’accès est interdit, car le chemin et les ponts
sont encore fracassés. Par chance nous avons suffisamment déchiffré le plan (si
toutefois ce n’était pas juste un tag d’une représentation du métro parisien)
pour savoir qu’il reste au moins un site praticable, dans le fond de la gorge. Au
fur et à mesure de notre descente, la végétation s’épaissit un peu, et lorsque
nous tournons dans les dernières épingles avant la cascade, nous sommes sous un
véritable plafond végétal. Guidés par le son, nous parcourons les dizaines de
mètres qui nous séparent encore de la bruyante chute d’eau.
Disons-le immédiatement, ce
n’est pas la plus belle cascade qui nous ait été donné d’observer. Mais il faut
avouer qu’après une telle descente, nous sommes plus qu’heureux de sentir les
gouttelettes en suspension venir s’accrocher à nos joues. A côté de la chute,
le taux d’humidité grimpe en flèche, et il fait soudain aussi frais que dans le
rayon boucherie. Même si nous ne resterons pas trop longtemps, nous allons
quand même en profiter pour faire plusieurs clichés, grâce à une avancée du
chemin sur un petit ponton de bois qui s’étend presque jusqu’au pied des
remous. C’est le moment d’essayer les longues expositions, pour capturer la
nature stable et l’eau en mouvement flou. Mais ce n’est pas évident, alors
Michel et Julie, qui sont tous les deux avec les reflex à ce moment de
l’aventure, vont passer un certain temps à tenter différents réglages. Et même
s’il ne s’agit que de regarder le flux incroyable d’eau qui descend ce surplomb
de quelques mètres, c’est à peu près aussi hypnotisant que de regarder les
flammes d’un feu de camp. On s’y perd vite, et l’expérience enveloppe les sens.
Nous pensons d’ailleurs à ce moment pouvoir profiter d’un second site de
cascade, mais ce n’est que devant le chemin barré que nous devrons nous rendre
à l’évidence : il n’y aura eu qu’une seule véritable chute remarquable au
cours de cette escapade dans le Glenariff Forest Park.
Devant le torrent, nous aurons
également quelques remarques désagréables sur la gestion de la réserve
naturelle… En notant aussi la couleur de l’eau, qui à cause de son parcours
dans les montagnes, et de la présence de métaux dans les roches, prend une
drôle de couleur… Pisse. Pardon, j’aurais pu dire jaune, mais ça n’aurait pas
décrit la chose correctement : on a l’impression de regarder une rivière
de pisse, presque au point où, par mimétisme, nos cerveaux nous en
transmettraient l’odeur : il est temps de remonter jusqu’au Salon de Thé,
car mes compagnons se sont mis en tête de manger des glaces. Moi, je n’ai
qu’une envie, c’est de reprendre la route : je crois que je développe
finalement une sorte de mélancolie pré-départ, car je sais que notre voyage se
termine dès demain… Allié à la fatigue du corps (eh, il faut bien remonter
jusqu’à la voiture), ça me fait serrer les gencives. Alors aller s’enquiller
une quarantaine de personnes âgées dans un salon de thé miteux, très peu pour
moi. Mais enfin, la majorité gagne… Nous aurons encore, au cours de notre
ascension, une discussion animée sur l’éducation des enfants (hypothétiques
pour la moitié d’entre nous), lorsque nous croisons une famille dont les deux
marmots n’ont d’autre choix que de gravir la pente les pieds dans de larges
bottes de plage.
Bon, nous trouvons une table
de pique-nique qui nous évite la vue du cercle des plus de 80ans (cachez ces
vieux que je ne saurais voir). Et on me laisse judicieusement le temps de me
perdre dans mes pensées, le temps pour mes camarades d’aller chercher leurs
desserts. Je ne l’avouerais pas (non, non) mais en les voyant dévorer leurs
magnums, j’ai quelques regrets. Le magnifique arc-en-ciel qui barre soudain la
vallée m’offrira heureusement une compensation presque à la hauteur. Pour une fois
aujourd’hui en plus, nous aurons eu de la chance avec la météo, puisque le gros
nuage de pluie qui se pointe invariablement (je pense qu’il a dû nous chercher
un moment à côté de la mer) ne nous atteindra que lorsque tous les en-cas sont
dévorés… Presque lorsqu’on arrive sur le parking. C’est le moment de prendre le
Quashquaï pour le dernier saut de puce de la journée, direction la capitale de
l’Irlande du Nord. Pour une fois je sens que le GPS est en confiance, il est à
l’aise, reconnait même lorsque nous sommes ou non sur une voie de dépassement.
Enfin quand même, je me
demande depuis un moment ce qui leur a pris de limiter la vitesse à 60, sur
cette quatre voie. J’ai l’impression de me traîner comme un escargot, et la
masse d’automobilistes irlandais qui me le font également comprendre atteint de
larges proportions. Mais je ne comprendrais que lorsque Michel me mettra devant
le fait accompli. En effet, dans un moment d’inattention, j’avais oublié que
dans cette partie du pays, on comptait en milles. Les autres usagers avaient
donc le plaisir de rouler 65% plus rapidement que nous… Oui, faites le calcul,
sur autoroute ça fait un paquet de kilomètres heure. Une fois dans le flux, il
n’y a plus qu’à se laisser faire. Nous roulons comme ça une vingtaine de
minutes avant d’arriver en banlieue. De fait, on sait tout de suite que l’on
arrive dans une métropole par le nombre de voies de circulation à l’heure de
pointe (euh, oui, on arrive pile dans le créneau). Rien de moins que six voies
par sens de circulation. Quelques kilomètres plus loin, nous sommes tous au
taquet, car les locaux (camions compris) ne prennent pas beaucoup le temps de
chercher leur chemin, alors il ne faudrait pas rater un changement de voies. On
se croirait un moment sur le périph’ parisien…
Les sorties se succèdent,
jusqu’à la nôtre, qui nous fait suivre un étrange parcours (on passe sous
d’autre voies, puis sommes bloqués dans le trafic à un feu, puis sur
l’autoroute, pour finir par rouler dans une route exactement parallèle)… Qui ne
laissera jamais place à l’ennui, c’est le moins qu’on puisse dire (ça
transpire, derrière le volant). Lorsqu’enfin nous arrivons dans ce qui semble
un quartier d’habitation, c’est Julie qui prend le relais de la technologie,
car elle a reconnu le voisinage. Nous trouvons rapidement notre B&B, qui
est situé sur une avenue… Bah, je dirais passante. Mais il faut tout de suite
vous préciser que nous avons pris en quelques minutes la mesure de Belfast et
du quartier où nous serons logés cette nuit : c’est pauvre. Je ne saurais
pas trop comment le décrire autrement.
Les enseignes sont décrépies, les bars
ont un air sombre et inquiétant, les locaux ont des t-shirts mal taillés aux
couleurs passées depuis longtemps. Les maisons sont assez basses, et ceux qui
naviguent devant sentent le cubic de vin et la javel industrielle. Notre gros
SUV fait un peu déplacé, et on ne sait d’ailleurs pas trop où le garer. Je me
fendrais donc d’un créneau en face d’une rangée de minuscules maisons
d’ouvriers en brique orange. Un type nous regarde tout du long, en passant le
chiffon sur sa moto aux chromes rutilants. Avec son t-shirt à trous et ses
tatouages qui couvrent ses bras épais, il donne un peu l’image du quartier.
Nous, avec nos sacs de voyage, nos habits de randonnée, on fait un peu
déplacés. Une impression qui ne nous quittera pas alors qu’on s’approche de la
porte de notre B&B. Le restaurant qui fait le coin de rue pourrait tout
aussi bien être fermé, tant on a l’impression qu’il est parti dans un récent
incendie (alors que non pas du tout). Deux autres enseignes, une mercerie et un
vendeur de marques dégriffées ont le rideau de fer cadenassé. Nous sonnons.
Dans un premier temps, rien.
On s’inquiète un peu, évidemment. Le logement pas très cher que nous avions
trouvé (et déjà payé)… Il ne peut pas nous faire faux bond : nous n’avons
pas vraiment de plan de la ville, si ce n’est qu’elle fait une sorte d’ilot
entouré par la mer d’une part, et par l’autoroute de l’autre. Tout ce qui entre
dans ce cercle est hors budget pour la nuit ! Alors nous sonnons une
nouvelle fois. On entend des bruits, ça remue à l’intérieur. Enfin, la porte
s’entrouvre. Julie nous annonce, et dans un mouvement vif, le propriétaire
s’engouffre devant nous dans le couloir. Il faut dire qu’une fois à
l’intérieur, nous ne remarquons pas tout de suite le grand plan de la ville, ni
l’étroitesse de cette petite maison à l’ancienne qui ne contient au rez-de-chaussée
qu’un petit living et une cuisine. Non, nous sommes éberlués par l’allure du
propriétaire, qui semble flotter avec une grâce consommée sur toutes les parois
du couloir. Oui, toutes. Tentaculaire obèse au large sourire, le gérant de ce
B&B ne pourrait même pas nous accueillir à bras ouverts. Jovial et
impressionnant, il nous laisse nos clefs et nous invite à monter dans notre
chambre, sans lui. Il faut dire que cette dernière est au dernier étage.
Six
paliers… Sans ascenseur !
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