jeudi 11 septembre 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 49

Article 49: Machine arrière toute!

Le cerveau fait parfois abstraction de ce qu’il voit, parce qu’il ne veut pas y croire. Le mien nous fera le coup sur cette petite route escarpée. Dans une descente, on discerne clairement la prochaine avancée sur la mer, et la mince bande de goudron qui la surplombe. Je crois bien apercevoir un gros véhicule, mais je dois me préoccuper de la conduite et…forcément, puisque le chemin est interdit aux poids lourds, je ne me suis pas posé de questions. Jusqu’à ce que l’on se retrouve, dans un léger faux plat en virage, devant le monstre. Le voilà devant nous, un camping-car gros et gras, avec à l’avant dans la cabine, trois touristes aux airs aussi hilares que perdus dans cette campagne. Nous nous arrêtons à une vingtaine de mètres l’un de l’autre. Eux, parce qu’ils ne peuvent pas nous passer dessus, nous… Un peu désespérés. J’ai juste envie de crier que ce n’est pas du jeu. Ils ont triché, ces cons-là ! Mais enfin j’ai beau ne pas vouloir y croire, c’est bel et bien la réalité. Il faut trouver une solution, mais je sais bien que dans les deux ou trois derniers kilomètres, il n’y avait pas un seul terre-plein ou une voie de garage.

Malgré cela, et comme le camping-car monte, il a la priorité alors il faut bien faire quelque chose. Je commence donc à reculer, doucement. Parce que oui, je vous rappelle que je suis formellement incapable de rester droit en marche arrière avec le Quashquaï. Je m’en vais donc zigzaguer sur une soixantaine de mètres, jusqu’à revenir au sommet de cette petite côte. L’énervement est progressif, mais puissant. Il ne pouvait pas aller ailleurs, ce connard ? Il n’a pas le droit d’être ici ! Et dans la cabine, ils se payent le luxe de se bidonner comme des enfoirés de première classe ! Je suis de plus en plus dubitatif, parce que j’aurais beau me pousser à racler la caisse sur le bord de la route, ça ne passerait quand même pas. Encore une trentaine de mètres, et Marie se propose pour me guider sur la route. Elle a bien compris que je n’arrive pas à rester droit, que nous serons bientôt bloqués contre les piquets du champ d’à côté, et que mes éclats de voix n’y changeront rien. D’ailleurs je ne suis pas le seul à gueuler, puisque Michel et Julie font pleuvoir un chapelet de jurons sur nos voisins d’en face, à les maudire pour plusieurs générations.

C’est finalement Marie qui aura eu la meilleure idée. Elle me demande un moment de m’arrêter, et tandis que nous la regardons tous, curieux, elle court détacher une corde qui barrait l’entrée du champ. En effectuant une habile marche arrière, il sera possible de passer le 4x4 dans l’ouverture, tout en laissant passer l’encombrant camping-car et sa bande de dégénérés congénitaux. Attention, la manœuvre n’en sera pas plus aisée, il faut déjà trouver le bon angle pour entrer sur le terrain… L’écart entre les poteaux n’est pas beaucoup plus large que la voiture elle-même (on rentrera le rétro droit, pour vous donner une idée). Et puis, il n’y a pas que ça, il y a même beaucoup plus important. C’est que le pâturage que nous ouvre Marie est en dévers. Pas cinq degrés, non. L’herbe court sur une grande vingtaine de mètres, puis laisse la place au vide, et à la mer tout en bas. Comme il est rassurant de se lancer dans une douce marche arrière alors que l’océan emplit les rétroviseurs ! Heureusement, les filles s’y mettent à deux pour me guider par geste, aussi nous réussissons, centimètre par centimètres, à libérer la route pour ces trois dangereux connards. Qui continuent à se marrer, n’ayant sans doute aucune conscience de ce qui les attend plus loin. Les idiots ! La route ne leur est pas seulement barrée car on ne peut s’y croiser, mais aussi parce que dans les lacets, plus loin, ils ne pourront pas rêver passer sans frotter de tous les côtés.

Mais enfin ce n’est pas vraiment mon problème. Nous laissons passer le monstre, puis les cinq voitures qui ont eu le malheur de se retrouver derrière lui (ils n’ont pas beaucoup plus de chance), avant de tenter de repartir. C’est un démarrage en bonne côte, qui s’apparente à un vrai quitte ou double : si la voiture ne peut pas reposer le train avant sur le goudron, il faudra éviter le bain (et la chute de 40 mètres juste avant) aussi vite que possible ! C’est le moment de mettre les gaz, d’ouvrir les vannes… Et par chance, la voiture « mord » bien pour se remettre aussitôt sur la route. Le soulagement est intense, et prolongé. Nous avons bien cru devoir passer plusieurs heures sur cet incident de parcours, alors inutile de vous dire dans quel état d’euphorie nous sommes. Au point de ne plus faire très attention lorsque, quatre cent mètres plus loin, nous croiserons une large (très large) Audi A6… Les rétros vont un peu taper, mais comme nous roulons au pas, il n’y a pas de bobo. Dans la descente vers le village où nous allons quitter la minuscule route panoramique de Torr Head, nous nous promettons de faire une petite pause aussi vite que possible. Aussi lorsque cinq minutes plus tard, nous apercevons le splendide petit port de Cashendun, nous choisissons de nous y dégourdir à nouveau les jambes. Il y a aussi un bâtiment de toilettes publiques, mais ce dernier ne récoltera rien d’autre que le titre du lieu le plus impropre de tout le pays.

Nous entamons une petite ballade vers le village. Ce dernier est accolé au bord d’une large crique offrant une plage de belles dimensions, même si ce sont surtout les maisons qui font la beauté de ce petit village. Accolées les unes aux autres, elles surplombent la rue devant la jetée et forment un panorama uniforme de façades blanches et de toits pointus sur toute la longueur du petit port de plaisance. C’est vraiment de toute beauté, et le son des vagues qui viennent doucement s’échouer à quelques mètres de notre chemin ajoute encore à cet éclat. On s’y verrait bien passer la nuit d’ailleurs, dans l’une de ces maisons de style « victorien ». Malheureusement, nous n’aurons jamais l’occasion de voir ces dernières de près. Pourquoi ? Eh bien à cause de moi, évidemment ! 
Euh, oui, enfin pas que moi. Il se trouve que comme à midi, la météo irlandaise a réussi à nous prendre par surprise, en faufilant un nuage (et tous ses potes derrière) dans notre angle mort. On ne l’a pas vu venir, jusqu’à sentir une petite brise fraiche sur le cou, qui ne colle pas avec le reste du paysage. A ce moment on se retourne, on observe sans pouvoir rien y faire la noirceur profonde de ce nuage d’orage, et on se rhabille aussi vite que possible. Du moins, lorsqu’on peut ! Mon K-way est dans le coffre. Aïe.

C’est la course ! Non, pas métaphoriquement. C’est la vraie course vers la voiture, la sécurité, le sec. Et à ce jeu-là, on ne bat pas les nuages tous les jours… A mi-chemin, ce sont les premières gouttes qui s’invitent. Il faut allonger la foulée, et je me crois revenu à mes années d’athlétisme, qui surgissent de mes souvenirs en même temps que les jambes qui tirent, le souffle court et le cœur proche de l’explosion. Je ne me pose pas trop de questions (par chance, c’est moi qui avait les clefs), et je ne suis pas loin de finalement plonger par la porte ouverte. Heureusement, d’ailleurs : de l’autre côté de la vitre, c’est le déluge intégral en quelques secondes. Mes petits camarades, que j’entendais rire derrière moi lorsque j’ai doublé de rythme, ont rejoint la cadence pour éviter de se faire intégralement saucer. Une fois tous assis (une fois de plus, on ne rate pas une occasion de salir la caisse), il n’y a plus qu’à regarder l’eau sur le pare-brise et à se dire que Cashendun, c’est fichu !

Il est temps de se porter attentivement sur le plan, parce qu’à partir de là, il n’y a plus des masses de choses à observer sur la côte de cette Irlande du Nord sauvage, sans trop s’éloigner des axes principaux (n’oublions pas que ce soir, nous devons être à Belfast). Tout de même, il nous reste un temps des plus raisonnables, alors autant choisir un dernier point remarquable. Mais pas trop près non plus, histoire d’éviter le déluge. Notre attention se fixe donc sur un parc naturel, dans les terres, qui a pour particularité d’offrir à la vue de magnifiques cascades… Pour nous, c’est la bonne opportunité, puisque c’est encore un truc supplémentaire que nous n’avons pas coché dans ce voyage. A défaut de baleines (de ce côté-là, les occasions vont se faire rares jusqu’à la fin du voyage, même si on ne baisse pas les bras), nous tenterons les cascades ! Pourtant, il faut un effort de concentration pour se projeter en train de marcher dehors, parce qu’il pleut tellement que, de sortir pour enfiler les godasses de marche, on serait trempés jusqu’à l’os. J’avoue pour ma part que je me sens fatigué, à force de faire ces montagnes russes émotionnelles (la beauté et le calme de Torr Head, le camping-car, puis la beauté et le calme de Cashendun et la course). J’hésite à siester moi aussi dans la voiture (à l’arrêt, on s’est compris), mais je décide de tout de même en profiter à fond. Tant pis pour les autres, ils auront droit à une version un peu bougonne de ma personnalité.


Une demi-heure plus tard, nous arrivons à la réserve naturelle. Et niveau voiture, c’est presque organisé du style « vous entrez à présent dans l’enceinte de Jurrassik Parc », avec une route dédiée à l’aller, et au retour sur des chemins différents, des dos d’âne, un parking spécifique (et payant, vous l’aurez compris, mais que nous ne payerons pas, vous l’aurez compris aussi)… Il faut dire qu’une fois garés, le site vaut le détour. Nous sommes quasiment au sommet d’un cirque en fer à cheval, dont les contours sont d’abruptes pentes. Plusieurs cascades tombent de ces sommets pour se perdre dans la forêt qui couvre toute la vallée, laissant juste deviner un relief plus escarpé qu’il n’y paraît. Les chemins sont extrêmement bien balisés, tout est simple avec l’utilisation enfantine d’un code couleur… Enfin, c’est ce qu’on veut nous faire croire, parce que l’itinéraire est piégé comme il se doit. Déjà, pour pimenter les choses, le même code couleur est utilisé plusieurs fois. Sur des chemins qui se croisent. Il n’y a aucune indication de relief ni de points remarquables (il faut donc mémoriser l’orientation de la carte), et pour boss final, on nous informe que deux des couleurs de chemins ne sont pas praticables car une tempête a coupé une partie des chemins il y a de cela presque six mois. 

On voulait des cascades ? Il y en a ! Le tout maintenant, c’est de savoir les trouver…

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