lundi 13 août 2012

Chasseur de chasseur, part 1

Note: Il n'y a que le personnage principal qui est inventé. Tout ce qui arrive aux animaux est malheureusement réel. 


Il faut faire vite. Isolé comme je le suis, je ne manquerais pas d’attirer l’attention d’un autre prédateur caché dans ces hautes herbes. Je n’étais pas le seul à l’affut ce soir et j’ai croisé d’autres traces que celles de ma traque. Si la situation est dangereuse et grave, elle n’empêchera pas les animaux du Parc de se nourrir, se chercher une femelle ou protéger ses petits.
Depuis qu’il fait nuit, j’ai l’impression d’entendre le frottement de mes sangles émettre un son décuplé. Après cinq heures de course, mon sac à dos commence à peser plus lourd sur mes épaules, même si je sais que je n’ai embarqué que l’indispensable. Accroupi, je profite de la distraction pour avaler quelques gorgées de thé. Devant moi, les traces sont fraîches, je les aurai bientôt rejoints. L’oreille tendue, je perçois toujours quelque oiseau de nuit qui pousse son cri. Le hurlement glaçant d’un bushbaby, ces petits singes dont on ne peut apercevoir que les grands yeux, déchire l'océan de calme qui s'est emparé de la jungle.

Il est temps de repartir. Mes proies, car ils ne sont pas différents pour moi d’un gibier bien particulier, devraient atteindre le lac Locongue par le Nord… A moi de prendre les devants et de les surprendre sur place. Je cours avec une foulée mesurée, la tête dépassant des hautes herbes, en économisant mon souffle et mon énergie, prêt à me lancer dans un sprint si la situation l’exige.
Il y a deux mois de cela, un léopard a profité de l’obscurité pour sauter sur mon dos, préférant croire ses yeux de prédateur plutôt que son odorat (je suis couvert d’odeur féline). Ses dents profondément enfoncées dans mon sac à dos, il m’a plaqué au sol avec une rapidité que je n’aurais jamais cru possible, tandis que ses griffes ravageaient mon flanc gauche. Il ne pouvait y avoir deux gagnants ce soir-là, et j’avais du sauver ma vie en tuant la bête, les larmes aux yeux et les jambes tremblantes.
Il n’y avait que six léopards dans le parc de Macambé, et j’avais mis plusieurs semaines à me remettre de mes blessures, plus morales que physiques, en m’interrogeant sur mon rôle. Malgré tout, mon absence s’était fait sentir : un rhinocéros décapité, deux groupes de femelles éléphants décimés. Et dans ces groupes de femelles, certaines encore enceintes.

J’entends leurs chevaux, alors qu’ils sont encore hors de vue. Ils ont atteint le lac avant moi, petite erreur de jugement, et font boire leurs montures avant de repartir faire le tour du lac. S’ils ont de la chance, ils n’auront que quelques centaines de mètres à parcourir avant de trouver les pachydermes, souvent réunis pour un bain de boue de minuit. Ou bien un ou deux mâles esseulés, venus boire en l’absence des lions. Les lions ont toujours été les premiers à réagir à la situation : le stress engendré par les braconniers et les coups de feu ont modifié habitudes et territoires de chasse.
Les éléphants aussi sont devenus nerveux. Les touristes, le jour, ont pu observer la différence. On a remisé les jeeps sans toit pour installer de nouveaux arceaux en acier : une femelle énervée n’aurait aucun mal à renverser une jeep, par sécurité. Les animaux sont devenus méfiants, passent leur temps à renifler les pistes alentour, et fuient parfois en groupe, masse concentrée de centaines de tonnes lancée à 20km/h, souvent au moindre signe de présence humaine.

Eux, là-bas, près du lac, ça ne les a pas inquiétés. Les éléphants stressés se regroupent pour faire face, et c’est précisément ce qu’ils attendent. Debout sur leurs étriers, rangés comme à la parade, ils ont pris l’habitude d’embusquer les éléphants et de les abattre à la kalachnikov, méthodiquement. Ils visent la tête, et à raison de trois à quatre coups tirés par animal, abattent le troupeau en quelques minutes. Malgré le bruit qui résonne à plusieurs kilomètres, ils savent qu’ils ont une heure ou deux pour découper les bêtes, certaines étant juste couchées sur leurs flancs, paralysées par la douleur. Ils emportent la trompe, qui sera fumée, séchée et vendue en tranches. La peau du cou, qui leur servira de repas pour le voyage de retour. Et les défenses, bien entendu. L’ivoire les attire, même quand il ne s’agit que de quelques grammes, sur les éléphanteaux. Les usages sont variés. Certaines cornes sont réduites en poudres et vendues comme aphrodisiaques, d’autres sont débitées en bijoux de valeur, tandis que les plus belles seront vendues « intactes » pour orner en trophée une salle de réception, un appartement de standing ou une résidence secondaire. Chinoise, la plupart du temps.

Un jour viendra où, lorsque la jungle sera calme, je remonterais jusqu’à la source. Une longue traque, de braconniers en revendeurs, de grossistes en capitaine de port, jusqu’au client final. C’est de lui que vient l’argent, lui qui génère ce commerce, lui qui, d’une façon bien détournée mais fondamentale, m’a transformé en tueur. 

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