Note: Il n'y a que le personnage principal qui est inventé. Tout ce qui arrive aux animaux est malheureusement réel.
Il faut faire vite. Isolé
comme je le suis, je ne manquerais pas d’attirer l’attention d’un autre
prédateur caché dans ces hautes herbes. Je n’étais pas le seul à l’affut ce
soir et j’ai croisé d’autres traces que celles de ma traque. Si la situation
est dangereuse et grave, elle n’empêchera pas les animaux du Parc de se
nourrir, se chercher une femelle ou protéger ses petits.
Depuis qu’il fait nuit, j’ai
l’impression d’entendre le frottement de mes sangles émettre un son décuplé.
Après cinq heures de course, mon sac à dos commence à peser plus lourd sur mes
épaules, même si je sais que je n’ai embarqué que l’indispensable. Accroupi, je
profite de la distraction pour avaler quelques gorgées de thé. Devant moi, les
traces sont fraîches, je les aurai bientôt rejoints. L’oreille tendue, je
perçois toujours quelque oiseau de nuit qui pousse son cri. Le hurlement
glaçant d’un bushbaby, ces petits singes dont on ne peut apercevoir que les
grands yeux, déchire l'océan de calme qui s'est emparé de la jungle.
Il est temps de repartir. Mes
proies, car ils ne sont pas différents pour moi d’un gibier bien particulier,
devraient atteindre le lac Locongue par le Nord… A moi de prendre les devants
et de les surprendre sur place. Je cours avec une foulée mesurée, la tête
dépassant des hautes herbes, en économisant mon souffle et mon énergie, prêt à
me lancer dans un sprint si la situation l’exige.
Il y a deux mois de cela, un
léopard a profité de l’obscurité pour sauter sur mon dos, préférant croire ses
yeux de prédateur plutôt que son odorat (je suis couvert d’odeur féline). Ses
dents profondément enfoncées dans mon sac à dos, il m’a plaqué au sol avec une
rapidité que je n’aurais jamais cru possible, tandis que ses griffes
ravageaient mon flanc gauche. Il ne pouvait y avoir deux gagnants ce soir-là,
et j’avais du sauver ma vie en tuant la bête, les larmes aux yeux et les jambes
tremblantes.
Il n’y avait que six léopards
dans le parc de Macambé, et j’avais mis plusieurs semaines à me remettre de mes
blessures, plus morales que physiques, en m’interrogeant sur mon rôle. Malgré
tout, mon absence s’était fait sentir : un rhinocéros décapité, deux
groupes de femelles éléphants décimés. Et dans ces groupes de femelles,
certaines encore enceintes.
J’entends leurs chevaux, alors
qu’ils sont encore hors de vue. Ils ont atteint le lac avant moi, petite erreur
de jugement, et font boire leurs montures avant de repartir faire le tour du
lac. S’ils ont de la chance, ils n’auront que quelques centaines de mètres à
parcourir avant de trouver les pachydermes, souvent réunis pour un bain de boue
de minuit. Ou bien un ou deux mâles esseulés, venus boire en l’absence des
lions. Les lions ont toujours été les premiers à réagir à la situation :
le stress engendré par les braconniers et les coups de feu ont modifié
habitudes et territoires de chasse.
Les éléphants aussi sont
devenus nerveux. Les touristes, le jour, ont pu observer la différence. On a
remisé les jeeps sans toit pour installer de nouveaux arceaux en acier :
une femelle énervée n’aurait aucun mal à renverser une jeep, par sécurité. Les
animaux sont devenus méfiants, passent leur temps à renifler les pistes
alentour, et fuient parfois en groupe, masse concentrée de centaines de tonnes
lancée à 20km/h, souvent au moindre signe de présence humaine.
Eux, là-bas, près du lac, ça
ne les a pas inquiétés. Les éléphants stressés se regroupent pour faire face,
et c’est précisément ce qu’ils attendent. Debout sur leurs étriers, rangés
comme à la parade, ils ont pris l’habitude d’embusquer les éléphants et de les
abattre à la kalachnikov, méthodiquement. Ils visent la tête, et à raison de
trois à quatre coups tirés par animal, abattent le troupeau en quelques
minutes. Malgré le bruit qui résonne à plusieurs kilomètres, ils savent qu’ils
ont une heure ou deux pour découper les bêtes, certaines étant juste couchées
sur leurs flancs, paralysées par la douleur. Ils emportent la trompe, qui sera
fumée, séchée et vendue en tranches. La peau du cou, qui leur servira de repas
pour le voyage de retour. Et les défenses, bien entendu. L’ivoire les attire,
même quand il ne s’agit que de quelques grammes, sur les éléphanteaux. Les
usages sont variés. Certaines cornes sont réduites en poudres et vendues comme
aphrodisiaques, d’autres sont débitées en bijoux de valeur, tandis que les plus
belles seront vendues « intactes » pour orner en trophée une salle de
réception, un appartement de standing ou une résidence secondaire. Chinoise, la
plupart du temps.
Un jour viendra où, lorsque la
jungle sera calme, je remonterais jusqu’à la source. Une longue traque, de
braconniers en revendeurs, de grossistes en capitaine de port, jusqu’au client
final. C’est de lui que vient l’argent, lui qui génère ce commerce, lui qui,
d’une façon bien détournée mais fondamentale, m’a transformé en tueur.
Le DEXTER de la Savane :D
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