samedi 25 août 2012

Obéris - L'Aube Rouge

Note: Saya Elastre est l'un des personnages principaux du premier tome de la Trilogie d'Obéris, qui s'appelle également "L'Aube Rouge". Habitante du Sud de Bréar, gigantesque royaume établi au Nord d'un désert aride, elle est accoucheuse et se retrouve, en ce début de récit (nous sommes dans les premiers chapitres), en mauvaise posture: 


Il n’était pas prudent de rester à l’extérieur, mais il était trop tard pour reculer. Sans l’abri des arbres, elle profitait de sa taille menue pour s’abriter derrière Gonjot, son âne, qui lui aussi renâclait de plus en plus à mesure que l’heure s’avançait. Autant pour ma coiffure, songea-t-elle après une rafale. Ses cheveux d’un noir de jais étaient piquetés de sable et de poussière. Elle devint méconnaissable lorsqu’elle décida de se servir de son châle pour protéger son nez et sa bouche. Elle n’avait pas croisé âme qui vive sur le trajet, et allait devoir continuer sans pouvoir se plaindre avec quiconque de l’arrivée de l’Aube Rouge.
Car une telle chaleur n’était pas normale. Une telle chaleur n’avait rien de naturel, elle était presque… Hors de propos. Oh bien entendu, ce n’était pas aussi soudain que de se placer devant une cheminée lors d’une soirée d’hiver, l’aube rouge s’annonçait incidemment tout au long de l’été, avec des signes qui ne trompaient personne.

Cet été-ci est le sixième, songea-t-elle. Le sixième et sans doute le plus virulent d’entre tous. Elle se souvenait parfaitement de la première fois ou elle avait aperçu une fumerolle. Karl ne la quittait alors jamais de plus de 10 pieds, tandis que Cadric fanfaronnait depuis plusieurs jours, sa lettre d’engagement dans la cavalerie Royale quelque part sur lui. Elle attendait dans la Salle Commune du village, accompagnée de ses fils et de deux autres femmes solides.  Leur patiente, une jeune femme enceinte, pour laquelle chacun savait que les chances de l’enfant n’étaient pas élevées, était en retard. Isia, se rappela-t-elle, la jeune fille s’appelait Isia. Le ciel était clair, et rien ne semblait présager les événements à venir. Et puis la terre s’était mise à trembler. Pas par secousses, comme elle en avait vécu quelques-uns dans son enfance. Non, la terre tremblait… Lentement, sur un rythme qui n’appartenait qu’à cet instant précis. Alors que chacun reprenait son souffle, des cris s’étaient élevés à l’entrée du village, et comme tous les badauds, elle avait couru pour apercevoir l’objet de toutes les attentions.

Il s’agissait d’une fumerolle. Trois pieds de haut, un sommet en cratère duquel s’échappait une fumée rouge, et partout autour, de la boue en ébullition, chaude à en faire cloquer la peau en un instant. Abasourdi, le village tout entier regardait le monticule comme si une explication rationnelle allait faire jour d’un moment à l’autre. Malheureusement personne n’en avait, et la situation n’avait fait qu’empirer : des dizaines de fumerolles avaient fait leur apparition autour du village. Le vent s’était levé et amenait plus de chaleur encore, chargée de sable et de poussières rouges comme le sang. La terre tremblait parfois des heures, et il était presque impensable de sortir des habitations dont l’isolation déplorable laissait entrer le sable rouge par toutes les fentes.

Cela avait duré trois jours. Trois jours horribles, au cours desquels ses enfants étaient devenus de petits adultes au contact de la dure réalité que prend la vie lorsque certaines personnes désespérées vous entourent. Le bourgmestre s’était pendu devant la salle commune, après avoir empoisonné le reste de sa famille. Certains sortaient dans la brume rouge pour en revenir quelques heures plus tard, chargés de bijoux qui n’étaient pas les leurs. La panique avait pris le pas sur toutes les formes de raisons, et beaucoup murmuraient des prophéties apocalyptiques de leur cru. Mais qui les en aurait blâmés? Tout portait à croire à  la fin, particulièrement cruelle, de la civilisation et du peuple de Bréar.
Il avait fallu trois jours pour qu’un prêtre de la Lumière apparaisse, juché droit sur un cheval frais, arborant des couleurs à peine ternies par le sable rouge. Il avait ordonné que chacun se réunisse dans la Salle Commune. Alors que l’appréhension tissait plus que jamais sa toile parmi les habitants, il leur avait annoncé dans un souffle qu’au monastère de Syd, la cité de l’Ouest, la situation s’était apaisée aussi rapidement que la catastrophe s’était établie sur le pays : un fort vent du Sud, commandé par le Dieu Theron lui-même, ramenait la vie.

Quelques heures plus tard, la situation avait donné raison au prêtre, qui fut célébré dans toutes les maisons. Le brouillard avait fini par se dissiper et le vent poussait les terribles chaleurs et poussières vers le Nord.  Les fumerolles avaient cessé de bouillir leur recette de l’enfer dans les jours qui suivirent, la température redevint supportable en une dizaine de jours pour finalement laisser place à l’automne. Les vies que l’on avait crues brisées se voyaient offrir une nouvelle chance… Saya avait eu affaire à un nombre incalculable de naissances dans l’année qui suivit la première aube rouge. Ce n’était d’ailleurs qu’une juste balance que tant de nouvelles vies apparaissent après la catastrophe, quand un si grand nombre avait péri dans la folie de ces jours de cauchemars. Les coupables furent jugés, la plupart de façon plus que clémente, personne n’étant jamais lui-même lorsque de tels événements surgissent : seuls les meurtriers avaient été sévèrement condamnés.

1 commentaire:

  1. Un texte magnifiquement bien ficelé et une intrigue... Qui m'intrigue de plus en plus ! J'ai hâte d'en savoir plus sur Obéris, car bien que moins fan de ce genre de monde, tu as réussi à me donner le virus !

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