Car oui, malgré leur intellect limité et ma
quasi-certitude qu’ils me mèneraient au but, j’avais négligé un détail important :
ils étaient deux, et je ne pourrais en suivre qu’un à la fois. Ne voulant pas
découvrir mon jeu, j’avais décidé de ne pas en exécuter avant qu’ils m’aient
mené au négociant. Je les voulais détendus, décontractés, presque arrogants
d’avoir survécus à une terrible embuscade menée, ils en étaient convaincus, par
au moins une compagnie de l’armée…
Evidemment, lorsqu’ils se sont séparés, j’aurais voulu me
flageller pour mon idiotie crasse, qui risquait de mettre en péril toute ma
petite opération. Réunis devant une échoppe, ils s’étaient longuement étreints,
de cette manière virile qui distingue les anciens compagnons d’armes, avant de
se séparer. A une dizaine de mètres de là, je faisais mine de réprimander un
commerçant pour ses fruits pourris qui m’auraient rendu malade, et j’avais dû
couper court à toute conversation. J’avais les lèvres serrées, tout un flot
ininterrompu de jurons se regroupant derrière. J’avais couru en pestant presque
à haute voix. Comme les quelques secondes de réflexions qui m’étaient dévolu
avaient quasiment disparues avec les deux sous-fifres, je m’étais focalisé sur
le moins bête des deux. Celui qui soignait sa monture et décidait de suivre le
soleil quand l’autre baissait les bras. Mal m’en a pris.
A force d’aligner sans cesse les ennemis dans mon viseur
infrarouge, j’en oublie parfois l’évidente capacité de persuasion que
représente le charnier que j’ai laissé derrière moi. Et le plus malin des deux,
dans cette optique, n’est pas celui qui retourne ramper devant son commanditaire,
mais bien celui qui décide de raccrocher sans aller quémander encore quelques
dollars souillés de sang. Mehdi, puisque c’est ainsi qu’il s’appelait, avait
décidé de retourner vivre chez son frère, et peut-être utiliser l’argent qui
lui restait pour passer le permis poids lourds.
Et moi, dans tout ça. J’étais devant son volet, à
l’écouter débiter son héroïque retour à son seul copain qui le regardait avec
une admiration non feinte. Lui n’entendait pas la peur chez son interlocuteur,
ne faisait pas attention aux passages laissés sous silence. Pour moi qui
l’écoutais, c’était le stupéfiant récit d’un jeune homme qui va bientôt
retourner à la société après quelques expéditions aussi inutiles que
dangereuses. Il a vu la mort, de près, a choisi la vie peu après. Sauf que ce
faisant, il bousille toutes mes pistes, le jeune. Retourner dans la société… Tu
étais condamné, Mehdi, ta vie était finie avec celle de des copains qui ont du
nourrir une bonne proportion des animaux du parc depuis. Fini les utopies, là,
moi je n’ai pas marché durant des semaines pour écouter rejouer l’enfant
prodigue.
Le pire, c’est qu’il n’a même pas semblé être surpris.
Quand je l’ai embarqué dans une ruelle bordée de maisons en agglomérés aux murs
épais, il ne s’est débattu que pour la forme. Une vraie mauviette, j’aurais dit
sur l’instant. Maintenant, je ne suis plus si certain, peut-être qu’il avait
accepté, qu’il savait que la fin de l’histoire était déjà écrite, qu’il avait
eu droit à un joyeux sursis pour bourlinguer avec son ami demeuré et saluer sa
famille une dernière fois. Un vrai soap, j’en aurais versé une larme si ce
n’était pas le même type qui avait fichu ma poursuite à la baille.
Initialement, je voulais lui poser des questions, tout
savoir sur leur organisation, l’entrepôt, les horaires, les armes… Mais je ne
suis pas doué pour les interrogatoires, j’étais stressé, je n’avais pas deux
heures pour lui braquer une lampe de bureau dans la figure. Il m’a lâché un
nom, que j’ai déjà oublié, et une place, Siladhr, pas loin du marché. C’était
presque trop facile, et j’ai réagi un peu vite. La déprime, la fatigue, ces
foutues pilules, est-ce que je sais. Peut-être même que maintenant, je peux
plus tenir un couteau devant un pauvre type sans le planter.
Que je suis allé
un peu loin, que je devrais lever un peu le pied.
Il m’a balancé un nom au hasard, et son adresse, c’était du
pareil au même. Je l’ai encore dans mes bras que je le sais déjà. Il avait le
sourire de celui qui meurt avec la conscience tranquille. Et merde. Merde. Je ne sais
même pas si je dois bouger ou attendre qu’on me trouve, au fin fond de ce
quartier de bouseux. Je n’avais pas prévu de le tuer. Ou peut-être que si. Je
suis à demi couvert de sang, et je sais même pas ou crèche mon autre victime. D’un coup, je l’ai lâché, je suis étalé comme un
tas de chiffon à deux pas du cadavre. J’ai craqué, voilà, ça arrive. Je l’ai
planté, je n’aurais pas du, je ne vais pas aller sonner chez son frère et lui
dire que je regrette, lui offrir des fleurs et lui dire quel super camionneur
il aurait fait. Le cadavre, là, c’était un braconnier. Il aurait tué la
matriarche qu’il n’aurait pas eu les yeux humides, lui. Hein. Après tout.
Temps de partir, ça renifle la mort à trois maisons à la
ronde. Je vais me changer, prendre une douche et aller chercher le suivant. Et
tant pis si la moitié de Khartoum y passe.
C'est marrant je ne pensais pas que le récit allait continuer ainsi... On est donc à la fois étonnés et avides de connaître la suite!
RépondreSupprimerBon, le chasseur de chasseurs il pète un peu les plombs quand même. C'est dommage, je pensais qu'il était plus intelligent que ça. Espérons qu'il reprenne ses esprits maintenant et qu'il mène son enquête d'une manière plus discrète et moins sanglante ;-)
Je suis complètement fan, même si à nouveau ça ne ressemble pas à mon style de lecture habituel (décidément, tu dois avoir un don ^^).
RépondreSupprimerAllez, puisqu'on est dans la critique constructive, je te dirai qu'à mon goût cela va un peu trop vite. J'aurais aimé que tu t'attardes sur des détails, la beauté du paysage, l'aube dans la savane... Pour rendre encore plus cruels les gestes des braconniers.
Mais tu me diras, c'est un blog de textes, pas de romans ^^