lundi 27 août 2012

Chasseur de chasseur - Part 4


Car oui, malgré leur intellect limité et ma quasi-certitude qu’ils me mèneraient au but, j’avais négligé un détail important : ils étaient deux, et je ne pourrais en suivre qu’un à la fois. Ne voulant pas découvrir mon jeu, j’avais décidé de ne pas en exécuter avant qu’ils m’aient mené au négociant. Je les voulais détendus, décontractés, presque arrogants d’avoir survécus à une terrible embuscade menée, ils en étaient convaincus, par au moins une compagnie de l’armée…

Evidemment, lorsqu’ils se sont séparés, j’aurais voulu me flageller pour mon idiotie crasse, qui risquait de mettre en péril toute ma petite opération. Réunis devant une échoppe, ils s’étaient longuement étreints, de cette manière virile qui distingue les anciens compagnons d’armes, avant de se séparer. A une dizaine de mètres de là, je faisais mine de réprimander un commerçant pour ses fruits pourris qui m’auraient rendu malade, et j’avais dû couper court à toute conversation. J’avais les lèvres serrées, tout un flot ininterrompu de jurons se regroupant derrière. J’avais couru en pestant presque à haute voix. Comme les quelques secondes de réflexions qui m’étaient dévolu avaient quasiment disparues avec les deux sous-fifres, je m’étais focalisé sur le moins bête des deux. Celui qui soignait sa monture et décidait de suivre le soleil quand l’autre baissait les bras. Mal m’en a pris.

A force d’aligner sans cesse les ennemis dans mon viseur infrarouge, j’en oublie parfois l’évidente capacité de persuasion que représente le charnier que j’ai laissé derrière moi. Et le plus malin des deux, dans cette optique, n’est pas celui qui retourne ramper devant son commanditaire, mais bien celui qui décide de raccrocher sans aller quémander encore quelques dollars souillés de sang. Mehdi, puisque c’est ainsi qu’il s’appelait, avait décidé de retourner vivre chez son frère, et peut-être utiliser l’argent qui lui restait pour passer le permis poids lourds.

Et moi, dans tout ça. J’étais devant son volet, à l’écouter débiter son héroïque retour à son seul copain qui le regardait avec une admiration non feinte. Lui n’entendait pas la peur chez son interlocuteur, ne faisait pas attention aux passages laissés sous silence. Pour moi qui l’écoutais, c’était le stupéfiant récit d’un jeune homme qui va bientôt retourner à la société après quelques expéditions aussi inutiles que dangereuses. Il a vu la mort, de près, a choisi la vie peu après. Sauf que ce faisant, il bousille toutes mes pistes, le jeune. Retourner dans la société… Tu étais condamné, Mehdi, ta vie était finie avec celle de des copains qui ont du nourrir une bonne proportion des animaux du parc depuis. Fini les utopies, là, moi je n’ai pas marché durant des semaines pour écouter rejouer l’enfant prodigue.

Le pire, c’est qu’il n’a même pas semblé être surpris. Quand je l’ai embarqué dans une ruelle bordée de maisons en agglomérés aux murs épais, il ne s’est débattu que pour la forme. Une vraie mauviette, j’aurais dit sur l’instant. Maintenant, je ne suis plus si certain, peut-être qu’il avait accepté, qu’il savait que la fin de l’histoire était déjà écrite, qu’il avait eu droit à un joyeux sursis pour bourlinguer avec son ami demeuré et saluer sa famille une dernière fois. Un vrai soap, j’en aurais versé une larme si ce n’était pas le même type qui avait fichu ma poursuite à la baille.

Initialement, je voulais lui poser des questions, tout savoir sur leur organisation, l’entrepôt, les horaires, les armes… Mais je ne suis pas doué pour les interrogatoires, j’étais stressé, je n’avais pas deux heures pour lui braquer une lampe de bureau dans la figure. Il m’a lâché un nom, que j’ai déjà oublié, et une place, Siladhr, pas loin du marché. C’était presque trop facile, et j’ai réagi un peu vite. La déprime, la fatigue, ces foutues pilules, est-ce que je sais. Peut-être même que maintenant, je peux plus tenir un couteau devant un pauvre type sans le planter. 
Que je suis allé un peu loin, que je devrais lever un peu le pied.

Il m’a balancé un nom au hasard, et son adresse, c’était du pareil au même. Je l’ai encore dans mes bras que je le sais déjà. Il avait le sourire de celui qui meurt avec la conscience tranquille. Et merde. Merde. Je ne sais même pas si je dois bouger ou attendre qu’on me trouve, au fin fond de ce quartier de bouseux. Je n’avais pas prévu de le tuer. Ou peut-être que si. Je suis à demi couvert de sang, et je sais même pas ou crèche mon autre victime. D’un coup, je l’ai lâché, je suis étalé comme un tas de chiffon à deux pas du cadavre. J’ai craqué, voilà, ça arrive. Je l’ai planté, je n’aurais pas du, je ne vais pas aller sonner chez son frère et lui dire que je regrette, lui offrir des fleurs et lui dire quel super camionneur il aurait fait. Le cadavre, là, c’était un braconnier. Il aurait tué la matriarche qu’il n’aurait pas eu les yeux humides, lui. Hein. Après tout.

Temps de partir, ça renifle la mort à trois maisons à la ronde. Je vais me changer, prendre une douche et aller chercher le suivant. Et tant pis si la moitié de Khartoum y passe. 


2 commentaires:

  1. C'est marrant je ne pensais pas que le récit allait continuer ainsi... On est donc à la fois étonnés et avides de connaître la suite!

    Bon, le chasseur de chasseurs il pète un peu les plombs quand même. C'est dommage, je pensais qu'il était plus intelligent que ça. Espérons qu'il reprenne ses esprits maintenant et qu'il mène son enquête d'une manière plus discrète et moins sanglante ;-)

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  2. Je suis complètement fan, même si à nouveau ça ne ressemble pas à mon style de lecture habituel (décidément, tu dois avoir un don ^^).

    Allez, puisqu'on est dans la critique constructive, je te dirai qu'à mon goût cela va un peu trop vite. J'aurais aimé que tu t'attardes sur des détails, la beauté du paysage, l'aube dans la savane... Pour rendre encore plus cruels les gestes des braconniers.
    Mais tu me diras, c'est un blog de textes, pas de romans ^^

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