lundi 27 août 2012

Chasseur de chasseur - Part 3


Et voilà. Voilà à quoi pouvait mener l’indécision. Triste spectacle, et pas discret pour un sou… Mehdi Mahlaki me regardait de ses yeux écarquillés en tentant désespérément de reprendre son souffle. Evidemment, avec le trou béant que j’avais rajouté à sa gorge, il ne produisait qu’un gargouillement désagréable qui gênait considérablement mes capacités de réflexion, et risquait de me faire repérer. J’aurais pu disparaître, mon méfait accompli, mais mon esprit tordu préférait que je reste là, accroupi avec ma victime dans mes bras, comme pour me rappeler que j’avais tout fait de travers. Ce n’est que lorsque son corps eut ses derniers soubresauts poisseux que j’avais pu retourner à mes pensées.

La traque avait démarré dans l’incertitude. Je n’aime pas l’improvisation, surtout lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi important, mais je brûlais d’excitation après cette nuit de traque et de chasse. Je m’étais presque convaincu que j’allais remonter à la source, faire éclater le trafic au grand jour en ne laissant qu’une mare de sang dissuasive… Mais j’avais eu, dans un premier temps, toutes les peines du monde à suivre les traces des deux rescapés de cette nuit de folie. Ils avaient galopé à n’en plus finir, à en juger par leur traces. Je ne les en blâmais pas, car je savais que leurs montures seraient rapidement à bout. Peut-être même que l’une d’elles s’effondrerait de fatigue, ce qui rendrait ma tâche enfantine : je voulais les suivre et les voir supplier leur commanditaire de leur laisser une seconde chance, et pourquoi pas gagner du galon, au passage.

Il m’avait fallu quasiment trois jours pour rattraper ces deux imbéciles.  Je ne les voyais pas encore que je savais tout ce qui était nécessaire : j’avais si bien décimé les chefs lors de mon embuscade que les deux survivants que je m’échinais à poursuivre ne pouvaient-être que des sous-fifres ou des porte-fusils. Oh attention, durant les premières vingt-quatre heures, je les avais pris pour des pistards avertis, qui souhaitaient couvrir leurs traces par d’habiles manœuvres. Mais ces dernières n’avaient aucune cohérence, se recoupaient et dessinaient à peine une ébauche de trajectoire. Pensant moi-même tomber dans un piège, j’avais pris toutes les précautions en me gavant de pilules de Ternex : elles permettaient de voyager sans fermer l’œil quelques jours, si on était prêt à en payer le prix fort… D’affreuses migraines et une déprime sensible me guettaient, mais j’espérais de tout cœur découvrir les commanditaires et les identifier avant cette baisse de régime.

Il ne s’agissait ni d’un piège, ni de trajectoires destinées à me faire hésiter. Les deux rescapés étaient perdus, gaspillaient leurs rations d’eau et de viande, fumaient dès la nuit tombée et n’étaient pas fichus de voyager dans une steppe à peine vallonnée. Un contrebandier averti, prudent avec sa monture et quelque peu sur ses gardes n’aurait jamais été rattrapé par un homme à pied. Moi par contre, j’avais aperçu leur maigre feu de camp, qui m’avait guidé comme un phare dans les trois derniers kilomètres. Je crevais d’envie, poussé par ces pilules qui tout de même vous rendent un peu nerveux, de faire les quelques mètres restants et de couper leurs gorges. J’aurais peut-être dû.

La traque qui s’était ensuivie n’avait aucun intérêt pour un professionnel de ma trempe. J’en profitais pour me reposer plus que nécessaire, m’approvisionner le long des routes et m’entraîner à me faufiler sans bruit au plus près de leurs duvets.  Nous avons passé la frontière Soudanaise sans le remarquer, même si ce n’était pas une grande surprise, et moins d’une journée plus tard, les amateurs que je suivais à la trace ne se cachaient plus, empruntant la route. C’était plus difficile pour moi, même si je partageais presque leur teint, mon visage ne ferait pas longtemps illusion. Ma coiffe de paysan Shelab faisait l’affaire, tandis que mes affaires étaient plus ou moins élégamment cachés sous d’amples vêtements. Les routes ne devaient pas être très sures, car j’ai vu bon nombres d’hommes en armes, qui n’auraient pas regardé à la dépense en munitions pour s’approprier mon fusil high-tech.

La marche s’était éternisée jusqu’à Khartoum, plaque tournante du commerce illégal. Pour tout, d’ailleurs, car j’ai vu des ballots de drogue déjà conditionnés exposés en pleine rue, des kalashnikov à l’étalage, ainsi que quelques échoppes proposant des artefacts en ivoire. Je pensais toucher au but, lorsque j’avais réalisé soudain mon erreur.

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